Les populations de Cistude du Marais de Brouage sont suivies de près et ce depuis de nombreuses années. Parmi les études démographiques publiées, celles de Duguy et Baron (période de 1982 à 1997) et celles de Nature Environnement 17 (2010-2013), réalisées à environ un kilomètre de distance et à proximité immédiate de banquettes sableuses favorables à la ponte, sont complémentaires et intéressantes à comparer.
Une vingtaine d’année après l’étude de Duguy et Baron, alors que les effectifs semblent en légère baisse (16,7 individus moyens par kilomètre linéaire de fossés en 1998 / Entre 10,4 et 16,1 individus moyens par kilomètre linéaire de fossé en 2014), c’est dans la répartition des classes d’âge que le constat est plus préoccupant. Alors qu’en 1998, Duguy et Baron relatent une proportion de juvéniles de 30% parmi les individus capturés, nous n’en notions plus que 15% en 2014 !
S’il est difficile d’attribuer cette tendance à un facteur en particulier, l’intensification indéniable des pratiques agricoles en marge du marais (mise en culture, enfrichement des prairies suite à l’abandon des pratiques agropastorales extensives) induit une dégradation globale des parcelles favorables à la ponte. Parallèlement, la raréfaction des sites de ponte entraîne une concentration des nids et une probabilité de prédation accrue. En 1997, Duguy et Baron notaient déjà une fréquence de prédation des nids allant de 0 à 100% en fonction des secteurs du Marais de Brouage, avec une valeur moyenne de 64,3%. Entre 2010 et 2011, le suivi télémétrique de femelles gravides capturées sur la réserve a permis de localiser précisément 14 nids. Tous ont été prédatés dans un délai maximum de 8 jours !
Dès lors, et même si une attention particulière était portée aux sites de ponte retenus par les femelles, il nous est apparu important de focaliser nos efforts pour une meilleure connaissance de ces milieux sur la réserve et ses alentours, de manière à favoriser le recrutement de jeunes individus dans la population. C’est pourquoi une prospection systématique des sites de ponte a été entreprise depuis 2021 sur les parcelles favorables de la réserve et de ses environs. Les nids détectés, s’ils ne sont pas déjà prédatés, sont protégés par l’installation d’une cage légèrement décollée du sol, empêchant l’intrusion de prédateurs mais perméable à la dispersion des émergents.
Du 9 mai au 18 juillet 2023, un effort important de prospections crépusculaires et nocturnes, basées sur la recherche d’indices de nidification et de femelles en ponte, a permis de protéger 12 nids et de repérer 14 pontes prédatées. Seulement 5 des 12 nids intacts et protégés ont été repérés grâce à l’observation de femelles en ponte. Tous les autres ont été trouvés en repérant des indices de ponte (bouchons argileux, mousses arrachées, œuf posé au sol…). Ces résultats nous incitent désormais à privilégier une recherche d’indices tôt le matin, lorsque la tâche d’humidité (eau contenue dans la vessie cloacale des femelles relarguée pour ameublir le sol lors du creusement du nid) est encore visible et que les nids sont les plus détectables (Beau, 2019).
A terme, il serait intéressant de suivre l’émergence des cistudons, dont les mœurs ne sont que très peu documentés. Les données les plus précises sont issues de la thèse de Frédéric Beau (Ibidem), qui a suivi quotidiennement un échantillon de nids protégés et les déplacements de 38 individus émergents équipés d’émetteurs VHF dans la Brenne.
Une étude similaire dans le marais de Brouage permettrait :
- De connaître plus précisément la phénologie d’émergence : après la ponte, l’incubation des œufs dure théoriquement 55 à 75 jours (durée mesurée en laboratoire par Pieau, 2004). A partir de là, les cistudons peuvent émerger dès la fin de l’été, à la faveur de conditions favorables ; ou passer l’hiver au nid et émerger au printemps suivant (Duguy & Baron, 1998).
- D’estimer le taux de survie des émergents.
- De caractériser l’occupation spatiale des individus après l’émergence : rarement observés, les émergents semblent exploiter le milieu terrestre un certain temps avant de rejoindre le milieu aquatique (Beau, 2019). Ainsi, il n’est pas impossible que des individus émergeant en été ou à l’automne passent l’hiver à l’abri en milieu terrestre.
Ces nouveaux éléments devront être pris en compte pour, à terme, optimiser la gestion de la réserve et orienter les politiques de conservation des populations de Cistude dans le Marais de Brouage.
Cistudon observé le 5 avril dernier sur un coteau de la Tour de Broue (Saint-Sornin, 17)
BIBLIOGRAPHIE :
BEAU F. (2019), Ecologie de la Cistude d’Europe ”Emys orbicularis” en Brenne : histoire de vie des nouveau-nés et influence des modes de gestion sur les populations. Sciences agricoles. Université de La Rochelle, 2019. Français. NNT : 2019LAROS024.
DUGUY R., BARON J.P. (1998) – La Cistude d’Europe, Emys orbicularis, dans le marais de Brouage (Charente-Maritime) : cycle d’activité, thermorégulation, déplacements, reproduction et croissance. Annales de la Société de Sciences Naturelles de la Charente-Maritime, 8(7) : 781-803
MONNET C. (2023) – Suivi des sites de ponte de Cistude d’Europe (Emys orbicularis) sur la RNR La Massonne : Bilan des actions 2023. Nature Environnement 17, 33 p.
PIEAU C. (2004) – Oestrogens and temperature-dependent sex determination in reptiles: all is in the gonads. Journal of Endocrinology 181, 367–377
ROQUES O. (2014) – Suivi d’une population de Cistude d’Europe dans le Marais de Brouage 2010-2013 : Caractérisation et évaluation de l’impact des curages en marais doux. Rapport d’étude. Nature Environnement 17, 39p.
THIRION J.-M., BEAU F., DUGUY R., MONADIER B., KRISCHNAKUMAR M., GLASSON P.-J. (2004) – Localisation et caractérisation des sites de ponte de la Cistude d’Europe Emys orbicularis (Linnaeus, 1758), dans le Marais de Brouage, en vue d’appliquer une gestion conservatrice. Nature Environnement 17, 55p.