Ce sont les cultures de légumes et l’horticulture qui utilisent le metam-sodium, qui est un pesticide polyvalent. Si la Charente-Maritime est moins concernée par ces cultures que les départements voisins de la façade atlantique, il s’en est quand même vendu 9,3 tonnes en 2016.
Par ailleurs si le débat se focalise sur la toxicité immédiate du metam-sodium pour les personnes situées à proximité, aucune information n’est disponible quant à la présence de cette substance active – ou de ses molécules chimiques de dégradation – dans les fruits et légumes ainsi traités. Cela aurait pourtant dû être étudié en raison de la capacité de cette substance à se lier aux particules du sol, de sa solubilité et de son instabilité, de sa forte toxicité envers les milieux naturels.
Dès 2010 cette substance est suspectée par l’Agence de Protection de l’Environnement des États-Unis (US EPA) d’être cancérigène et reprotoxique. Même à faible dose, elle provoque des anomalies de développement chez l’alevin.
Entre 2008 et 2016, les consommations annuelles en Charente Maritime ont été variables, avec un minimum de 5,2 t en 2015 et un maximum de 32 t en 2014.
Le 5 novembre 2018, l’évaluation de l’Anses conduit sa directrice générale adjoint Françoise Weber en charge des produits réglementés à conclure que « les produits à base de metam-sodium représentent des risques inacceptables pour la santé humaine. Le danger existe pour les opérateurs qui répandent le produit, les travailleurs dans les champs, les riverains, et des questions se posent quant aux risques pour le consommateur ».
De graves intoxications le mois dernier ont contribué à la décision d’interdire le metam-sodium. Le 9 octobre 2018, à Brain-sur-l’Authion, à quelques kilomètres d’Angers, plusieurs personnes se sont plaintes de picotements dans la gorge et d’une odeur de gaz. Les pompiers puis les autorités ont rapidement fait le rapprochement avec un épandage de produit à base de metam-sodium qui a eu lieu au même moment dans une pépinière de la commune. 61 personnes ont été touchées, majoritairement des ouvriers agricoles, et 17 d’entre elles ont été hospitalisées pendant quelques heures. Le 12 octobre, un incident semblable est survenu quelques kilomètres plus loin, à Mazé-Millon, touchant 9 personnes dont 4 pompiers. Toujours le mois dernier, 5 personnes ont été « incommodées » dans le Finistère par des émanations gazeuses provenant d’une serre.
« Le metam-sodium est un poison, un couteau suisse pour stériliser le sol. Avec la même molécule, l’on a un tue-vers, un fongicide, un désherbant et un antiparasitaire. (…) Tout ce qu’il rencontre succombe », explique à Franceinfo Bernard Jégou, chercheur à l’Inserm, directeur de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail, et directeur de la recherche à l’École des hautes études en santé publique. L’Anses indique dans Libération que le metam-sodium « présente des effets irritants, sensibilisants et corrosifs pour la peau, les voies respiratoires et les yeux ». Un rapport, remis en décembre 2017 au gouvernement français, désigne le metam-sodium comme l’une des « substances les plus utilisées et identifiées comme les plus préoccupantes ». Il existe des risques qu’elle soit cancérigène et toxique pour la reproduction, selon l’Agence de sécurité sanitaire européenne (Efsa).
Les autorités sanitaires françaises connaissent depuis longtemps la toxicité de cette substance interdite par l’Europe, mais pour laquelle la France a autorisé des dérogations. Cette molécule a été classée en 2009 par l’Union européenne parmi les 80 substances à remplacer au plus vite par des techniques alternatives, la considérant comme très toxique pour la vie aquatique avec des effets à long terme.
Mais les usages de metam-sodium ont continué sous forme de dérogation, telle celle prévue par le règlement du 25 avril 2012. Ainsi en France, le ministère de l’Agriculture permettait-il par dérogations des usages sur légumes (mâche, carottes, tomates, fraises, asperges), plantes ornementales et fruitières, arbres et arbustes. Ce produit hautement toxique aurait donc pu être interdit, sans sur-transposer les directives européennes, depuis six années déjà, sans attendre la survenance de nouveaux graves incidents.
Depuis 2012, ce sont 12 États membres qui l’ont totalement interdit, 13 avec la France depuis le 5 novembre 2018. 14 États membres l’autorisent encore. En France, il n’est plus possible ni de vendre, ni d’utiliser les produits contenant cette substance. Les stocks existants seront évacués via des filières spécialisées.
Pour le président de la Commission d’investigation PEST *, « cette nouvelle affaire souligne, une fois de plus, les failles du système actuel d’homologation des pesticides en France et en Europe, qui met en danger la santé des agriculteurs et de nos concitoyens et s’avère néfaste pour notre environnement ». Une fois de plus, il est légitime de s’interroger sur les méthodes des lobbys de l’agrochimie dans l’obtention de cette dérogation nationale.
Et pourtant de graves incidents se sont déjà produits en France. En 2010, un agriculteur a contaminé une rivière du Finistère sur 12 kilomètres après avoir utilisé sur sa parcelle agricole du Trimaton, un produit à base de metam-sodium. Plusieurs organisations avaient dénoncé cette pollution, qui a détruit 130 tonnes de truites dans une pisciculture. Bien qu’ils soient appliqués sur des petites surfaces en plein champ ou sous serres, ces produits nécessitent d’être utilisés en grandes quantités pour agir avec efficacité. Ainsi, la dose d’emploi est comprise entre 300 et 1200 litres par hectare, ce qui représente près de 700 tonnes utilisées chaque année en France selon le communiqué de l’Anses.
Mais selon le fichier officiel des ventes, 942 tonnes ont été utilisées en France en 2016. Depuis 20 ans, des milliers de tonnes de metam-sodium ont été utilisées sur des surfaces restreintes sans que l’on ne se soit préoccupé des conséquences à long terme relatives à la contamination des aliments, des sols et des nappes souterraines par les métabolites issus de la dégradation du metam-sodium. Selon l’agence californienne de protection environnementale, ces métabolites sont décrits en 2004 comme aussi toxiques que la substance mère elle-même.
Les Français doivent exiger une procédure d’autorisation de mise sur le marché qui puisse permettre de respecter la devise « Produire sans nuire et manger sans s’intoxiquer ».
* PEST : commission crée en mars 2018 au sein du Parlement européen en réaction aux révélations des Monsanto papers et au renouvellement controversé du glyphosate, pour analyser le système d’autorisation des pesticides en Europe