Le tribunal administratif de Poitiers nous avait déjà suivi sur les précédents dossiers, et prononce un jugement similaire cette fois encore. Et pour cause, la problématique est la même – l’atteinte à la ressource en eau et aux milieux aquatiques – et les raisons de l’illégalité de l’autorisation sont identiques.
La Chambre régionale d’agriculture Nouvelle-Aquitaine, ici en tant qu’organisme unique de gestion collective des prélèvements (OUGC), avait obtenu le 10 août 2017 un arrêté d’autorisation unique pluriannuelle (AUP) de prélèvement d’eau pour l’irrigation sur les sous-bassins de l’Antenne-Rouzille, de l’Arnoult, du Bruant, de Charente-aval, de Gères-Devise et de la Seugne. Cette « AUP » autorise des volumes de prélèvements sur plusieurs années (ici jusqu’en 2027), à charge ensuite pour l’OUGC de répartir chaque année ce volume entre les différents irrigants (via des « plans annuels de répartition »). Mais comme pour les autres dossiers, les volumes ici autorisés s’avèrent parfaitement disproportionnés et incompatibles avec une gestion équilibrée de la ressource.
Par un jugement du 8 octobre 2020, le tribunal administratif a prononcé l’annulation de cette AUP et ainsi donné raison aux associations Nature Environnement 17, Ligue pour la Protection des Oiseaux et Fédération de Pêche Charente-Maritime, qui avaient déposé un recours contre cette décision en décembre 2017.
Constatant en premier lieu le déséquilibre important entre les prélèvements et la ressource (disponible) en eau sur le bassin de la Charente, le tribunal relève ensuite que « l’arrêté litigieux autorise des prélèvements très nettement supérieurs aux prélèvements effectifs des années antérieures. A titre d’exemple, le volume maximal prélevé sur le sous-bassin de l’Antenne-Rouzille réalisé en 2010 s’est élevé à 3 122 254 m3. Pour ce même sous-bassin, l’arrêté contesté autorise en 2017 un volume prélevable de 4 760 980 m3 soit une augmentation de près de 52% ».
Le tribunal retient également nos arguments sur l’incohérence et les contradictions de l’étude d’impact jointe au dossier : « Ainsi l’étude, qui constate dans un premier temps un impact important sur le milieu aquatique dû principalement aux prélèvements destinés à l’irrigation, ne peut, dans un second temps, conclure à une amélioration du milieu en affirmant que les volumes prélevables sont à la baisse alors même qu’ils sont en réalité en hausse. Par suite, la contradiction des éléments contenus dans l’étude d’impact a eu pour effet de nuire à l’information complète de la population et a été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ».
Afin de tenir compte des situations qui se sont créées depuis la délivrance de l’autorisation et du délai nécessaire à l’élaboration d’un nouveau dossier par l’OUGC, le jugement diffère l’annulation au 1er octobre 2022. Dans l’intervalle, les prélèvements pour l’irrigation devront être plafonnés à la moyenne des consommations des 5 dernières années. Si les juges essaient ici de trouver un difficile compromis entre l’intérêt des irrigants et la protection de la ressource en eau, il est à craindre que ce plafonnement ne soit pas suffisant au regard de l’état du bassin. En effet la comparaison de l’historique des prélèvements d’eau pour l’irrigation avec le suivi des assecs réalisé par la Fédération de pêche montre qu’aucune amélioration ne sera à attendre tant que les prélèvements seront maintenus à de tels niveaux.
Ces volumes peuvent actuellement être prélevés pour l’irrigation car l’État en Charente-Maritime, mais aussi dans les départements limitrophes, n’a pas mis en place depuis de nombreuses années les mesures nécessaires pour protéger la ressource en eau pour l’alimentation en eau potable et pour le bon état des milieux naturels.
Ce jugement doit conduire les préfets à revoir cette gestion afin de protéger l’eau, ce bien commun indispensable à la vie.