En début d’année, nos associations Nature Environnement 17 et SOS Rivières publiaient un dossier de presse sur l’augmentation des achats de pesticides en Charente-Maritime.
Le 6 mars, Ré à la Une publiait un article intitulé « Uniré met en avant ses bonnes pratiques agricoles« . L’article annonce ainsi que des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement sont mises en place sur l’île.
Nature Environnement 17 a écrit à la rédaction demandant de pouvoir exercer son droit de réponse afin de rétablir quelques vérités sur la situation des pesticides dans l’Ile de Ré :
Suite à l’article « Uniré met en avant ses bonnes pratiques agricoles » paru dans votre édition n°204 de Ré à la Hune du 6 mars 2020, nous tenons à exercer notre droit de réponse en application de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 et de son article 13.
L’article annonce que des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement sont mises en place sur l’île de Ré : doses de pesticides mieux ajustées, pulvérisations plus précises avec récupérateurs, diffuseurs de phéromones. Toutefois des quantités conséquentes de pesticides taxés de la RPD (redevance pour pollutions diffuses) sont encore achetées de façon croissante, au moins jusqu’en 2018 (dernières données publiées), malgré la baisse de l’indice de fréquence de traitement (IFT) affirmée par la coopérative viticole.
Source des données des achats de pesticides
Sur le registre du site officiel data.eaufrance.fr, les données des achats de pesticides, regroupées par année et par région, sont indiquées par code postal (CP) de l’acheteur : http://www.data.eaufrance.fr/jdd/a69c8e76-13e1-4f87-9f9d-1705468b7221. Six fichiers sont disponibles par région, correspondant aux années 2013 à 2018. Les chiffres auxquels nous faisons référence sont issus du fichier national (BNVD) relatif aux achats de substances pesticides qui répertorie les achats par secteur de code postal, et qui est publié en ligne. Le BNVD est le fichier administratif et officiel de l’économie des pesticides en France. Les chiffres extraits pour l’île de Ré concernent les achats effectués par des résidents de l’île et utilisés normalement sur l’île. Ces données concernent les substances actives intégrées dans les produits commerciaux. Les dernières données publiées concernent les achats de l’année 2018. On ne voit pas pourquoi l’île de Ré serait le seul secteur où seraient contestées des données officielles et indiscutables.
Importance des substances actives utilisées sur l’île, effets nuisibles pour la santé et pour l’environnement, paiement de la redevance pour pollutions diffuses (RPD)
En 2018, les produits pesticides utilisés par les agriculteurs de l’île de Ré totalisent 133 substances actives différentes, avec le risque très aggravé de « l’effet cocktail » prenant en compte les effets cumulés des diverses substances répandues. Les substances actives représentent une partie du produit pesticide, lequel contient également divers adjuvants qui rendent le produit encore plus toxique. Certaines substances sont nocives même à très faible dose, et des substances ont des effets rémanents se poursuivant très longtemps après les traitements.
Les substances actives particulièrement dangereuses pour la santé et pour l’environnement sont soumises à une taxe, la redevance pour pollutions diffuses (RPD), sorte de droit à polluer. La liste des substances concernées au niveau national (plus de 300) est définie par arrêté.
Parmi les 133 substances actives différentes des achats 2018 sur les 4 codes postaux des communes viticoles rétaises, 105 sont soumises à cette RPD (36 classées T, T+, CMR – 66 classées N organique – 3 classées N minéral – 28 classées Autre).
Nos observations n’ont à aucun moment concerné spécifiquement les pratiques d’Uniré, mais elles permettent de connaître les achats de substances pesticides effectués pour les 1 500 hectares de terres agricoles de l’île, parmi lesquels 1 038 hectares sont exploités sur les 5 CP des communes viticoles (Ars-en-Ré/Saint-Clément-des-Baleines, Le Bois-Plage, La Couarde, Sainte-Marie-de-Ré, Saint-Martin-de-Ré) selon les sources Agreste.
La coopérative Uniré ne couvre que 508 hectares de vignes, et elle ne représente que 30 % de l’agriculture insulaire. Il est faux d’affirmer que les quantités moyennes à l’hectare de SAU (surface agricole utile) « ne veulent rien dire », alors que c’est un ratio significatif et communément utilisé qui donne un ordre de grandeur, à défaut d’un autre ratio.
Sur chacun des six fichiers officiels BNVD correspondant aux années 2013 à 2018, la ligne d’achat de substance pesticide sur le code postal de Saint-Martin-de-Ré (17410) est indiquée « nc » (non communiqué). Les quantités achetées sur ce secteur ne peuvent donc pas être prises en compte dans notre étude. Toutefois nous avons intégré sa surface viticole dans la surface totale viticole pour le calcul des ratios.
Afin d’éviter les distorsions entre les communes d’achats et les communes d’utilisation des produits, les 5 CP des communes viticoles (Ars-en-Ré/Saint Clément-des-Baleines, Le Bois-Plage, La Couarde et Sainte-Marie-de-Ré, Saint-Martin-de-Ré) ont été rassemblées en une seule entité. Pour cette entité, les achats de fongicides et d’herbicides les plus toxiques effectués restent au niveau des autres secteurs viticoles du département.
Lors de notre rencontre mi-février 2020 avec les représentants de la coopérative Uniré, ces derniers nous ont affirmé s’être engagés vers plus de respect environnemental. Mais leurs données ne sont pas significatives et leur classification des substances actives n’est pas conforme à la classification officielle, seule à même de permettre la quantification réelle des substances pesticides commercialisées. La coopérative Uniré présente une évolution de ses ventes de produits, et non des substances actives incluses dans les produits, qui serait bien plus significative et seule à même de permettre un suivi des quantités utilisées. De plus, elle ne retient pas les catégories N minéral et N organique, alors que les substances ainsi classifiées sont reconnues dangereuses pour l’environnement au point que les acheteurs doivent payer la RPD (redevance pour pollutions diffuses) fixée par arrêté.
Enfin, les calculs d’Uniré ajoutent en toute incohérence litres et kilos en un seul total général, tandis que les substances quantifiées sont correctement toujours exprimées en kilos.
Les données sont là, irréfutables, vérifiables sur le site officiel des données. Il y a hausse des achats de substances pesticides.
En 2015, les 4 CP des communes viticoles de l’île de Ré ont acheté 5,3 tonnes de substances cancérigènes reprotoxiques, mutagènes ou dangereuses pour l’environnement ; 5,8 tonnes en 2016 ; 7,3 tonnes en 2017 et 7,8 tonnes en 2018. Ce sont des tonnages conséquents. Nous aurions préféré croire en la baisse des achats de pesticides annoncée par Uniré, mais les chiffres sont là, et ils proviennent de données officielles. Il y a hausse des achats de substances pesticides.
Les chiffres d’Uniré annoncent des reculs totaux de ventes (où sont additionnés litres et kilos…!) de produits d’environ 40 % entre 2015 et 2019, quelle que soit la classification des produits et de leurs substances. C’est surprenant quand on sait que la conversion vers l’agriculture biologique ou vers des méthodes moins nocives que l’agriculture conventionnelle, implique des utilisations de substances naturelles au final beaucoup moins nuisibles à l’environnement, mais utilisées en quantités plus importantes. C’est d’ailleurs ce qui ressort du fichier officiel BNVD concernant les achats de soufre et de kaolin sur ces 4 codes postaux de communes. Il y a eu une augmentation d’achats de 78 % pour le soufre entre 2015 et 2018 ; quant aux achats de kaolin, ils n’apparaissent qu’en 2013 (250 kg sur Sainte-Marie-de-Ré) et en 2018 (956 kg).
Les résultats présentés par Uniré ne prouvent en rien qu’il y ait eu une baisse des achats de pesticides sur l’île.
Par ailleurs, la coopérative s’est engagée à cesser la vente des produits contenant des substances CMR à partir de 2020. Ce serait déjà un progrès ; cependant d’autres substances sont dénoncées comme étant aussi dangereuses sans pour autant être présentées actuellement comme CMR. Les fongicides SDHI et le glyphosate font par exemple l’objet de très sévères mises en garde par les scientifiques.
De 2017 à 2018, les achats de substances fongicides ont augmenté de 20 %, ceux des fongicides SDHI ont quintuplé ; les achats de substances herbicides ont augmenté de 55 %. Il est avancé que les viticulteurs auraient constitué des stocks pour éviter la hausse de la redevance pour pollutions diffuses. Pourquoi les achats de stockage en 2018 ne se reflètent-ils pas dans les ventes annuelles de la coopérative ?
Biodiversité
L’Observatoire national de la Biodiversité rappelle que la dégradation de la biodiversité est principalement due à l’épandage des pesticides : « La principale menace pour la biodiversité est l’utilisation de pesticides en agriculture » (bilan annuel 2018). Considérant les importantes quantités de pesticides déversées sur ses terres agricoles, l’île de Ré est loin d’être épargnée.
Une étude réalisée en 2017 par l’équipe du biologiste Caspar Hallmann portant sur plus de 60 zones naturelles en Allemagne, constate la disparition de 80% de la masse des insectes volants en 30 ans, ces zones ayant été impactées par les pesticides des champs environnants. Elle prend en compte la densité des insectes (leur nombre) ; quant à la diversité des espèces, nombre de ces dernières sont en danger d’extinction.
Nous rendons accessibles ces données sur les pesticides, leurs nuisances et les volumes importants utilisés sur l’île de Ré, en l’absence d’initiative publique pour le faire. Nous tenons à ce qu’elles soient publiées. Nous souhaitons que tout soit mis en œuvre pour initier des alternatives à l’utilisation des substances pesticides dangereuses pour notre environnement et pour notre santé.
Contact :
Jean-Marie BOURRY – 07 82 16 38 17