Sur recours de Nature Environnement 17 (NE17), le 9 mai 2019, le Tribunal administratif de Poitiers avait annulé la première Autorisation unique de prélèvement (AUP) d’eau pour l’irrigation agricole en date du 12 juillet 2016 sur le territoire de l’Établissement Public du Marais Poitevin (EPMP) sur les bassins du Lay, de la Vendée, du Curé, de la Sèvre Niortaise et du Marais Mouillé.
Le Tribunal avait retenu une étude d’impact insuffisante, une irrégularité dans la procédure et, surtout, des volumes autorisés excessifs eu égard à la fragilité du milieu et aux volumes prélevés dans la réalité les années précédentes. Dans les faits, il n’y avait pas de réduction mais une augmentation des prélèvements. La Cour administrative d’appel de Bordeaux avait confirmé ce raisonnement le 15 juin 2021.
En réponse à ces décisions, les Préfectures de Charente-Maritime, de Vendée, des Deux-Sèvres et de la Vienne ont pris une deuxième AUP sur ce même territoire le 9 novembre 2021. L’AUP n°2 étant quasi-identique à l’AUP n°1 annulée, NE17 est repartie en contentieux.
Le Tribunal administratif de Poitiers s’est prononcé ce jour sur la légalité de cette AUP n°2. Il a une nouvelle fois considéré les volumes autorisés comme étant excessifs et contraires au principe de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau au sens de l’article L. 211-1 du code de l’environnement.
Ainsi, le Tribunal administratif, a, de nouveau, annulé l’AUP.
En outre, pour la première fois, les magistrats se sont substitués aux Préfectures défaillantes.
Actant l’inaptitude de l’Etat à gérer correctement la ressource en eau, la juridiction a décidé de délivrer elle-même une AUP provisoire et d’imposer des volumes conformes au code de l’environnement.
Pour fixer ces volumes, le Tribunal s’est appuyé sur des « volumes prélevables provisoires » issus d’études de 2001 et 2007 dans l’attente des résultats des études HMUC en cours. Début 2025 en effet, le volume que le milieu est capable de fournir dans des conditions écologiquement satisfaisantes devrait être déterminé.
Ces volumes provisoires sont toujours trop importants pour protéger le Marais poitevin et l’accès à l’eau potable de ces bassins mais ils sont pour l’instant les seuls disponibles sur une base scientifique. En creux, l’Etat est donc sommé de respecter la loi et la science.
Le Tribunal a également fixé les conditions de remplissage des réserves de substitution : il sera possible de remplir de nouvelles réserves à condition de diminuer d’autant les volumes estivaux sur la même zone. Ceci stoppe la pratique des Préfectures d’autoriser des remplissages hivernaux de réserves sans compenser par une diminution des prélèvements estivaux.
Nature Environnement 17 espère que cette situation sera saisie par les Préfectures comme une opportunité de mettre en place une réelle gestion structurelle de la ressource en eau avec une diminution des prélèvements pour atteindre le bon état des masses d’eau.
Le dérèglement climatique et la moindre disponibilité à venir de la ressource en eau exigent une anticipation et une implication forte de l’Etat. Sans anticipation, sans rupture avec le modèle actuel, il sera impossible de concilier les intérêts économiques avec les exigences environnementales qui s’imposeront inéluctablement.
Lire le communiqué du Tribunal et le jugement.
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Quelques éléments de contexte :
● Conformément aux objectifs européens, afin de protéger nos milieux, il est nécessaire de réduire nos prélèvements en eau pour atteindre « le bon état des masses d’eau » en 2027 (report de 2021 et de 2015).
● L’irrigation agricole représente 58% de la consommation d’eau douce disponible en France alors que seule une minorité d’exploitations agricoles irrigue (entre 6 et 8% de la SAU). L’essentiel des agriculteurs subit ce système inégal.
● Ce système bénéficie en majorité aux grandes cultures céréalières (maïs, blé …)
● La France a déjà perdu 14% de la ressource en eau disponible sur la période 2012-2018 par rapport à 1990-2001. Le dérèglement climatique viendra accélérer le phénomène.
● L’état de la science démontre que les alternatives à l’irrigation sont possibles et connues.
● En raison de prélèvements excessifs, les milieux se dégradent, les assecs de cours d’eau se multiplient et les zones humides se détériorent.
● NE17 n’est pas opposée à l’utilisation de l’eau pour des cultures prioritaires comme la production de fruits et de légumes mais cette dernière doit se faire dans des conditions environnementales acceptables.